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C'est à l'heure d'une crise des déterminismes qu'on en vient ici à envisager de traiter celle de la liberté. Jusqu'où peut-on menacer son essence impalpable et pleine de contradictions ? Les concepts référents, tous aussi fluctuants les uns que les autres, constituent des contours impossible à tracer d'expérience rationnelle. Et ce, en dépit de l'Histoire de l'Humain. En effet, alors que les stoïciens ou les sceptiques se fossilisaient à vouloir progresser dans l'acceptation de leurs déterminismes, furent les hédonistes et tous les manifestants dionysiaques, qui rêvèrent un jour d'un pouvoir de choix et d'action illimité ; force est de constater que toutes catégories furent bien déçues à un moment. Et de fait, la liberté n'est actuellement pas unanime, bien qu'elle en ait l'apparente ambition. C'est donc que nous avons le pouvoir de la redéfinir et, pour cela, d'en repousser sans cesse les limites afin de cerner une représentation globale qui collerait à son étiquette.

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L'ère de la science nous enjoint de plus en plus à penser une causalité déterminante qui verserait presque dans le fatalisme ; cette propension vient se heurter de contradictions avec les idéaux qui résonnent sous le nom de liberté. En s'insinuant massivement d'omniprésence, la science entend englober le domaine du savoir, et ses répercutions celui de l'information toute entière. Et ce, jusqu'à remettre en cause l'idée qu'on aurait d'une liberté indéterminable et déterminante. Cette sorte de pouvoir secret et mystique, remis en cause par l'avènement des découvertes de l'humain, réagit-il à sa propre extinction ? Comment survivrait-on à l'absence de liberté et dans quels paramètres ? Tout ceci doit être pensé d'une vision utilitariste, c'est-à-dire née de la nécessité contextuelle.

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C'est avec cette dynamique nécessaire que nous évoluerons progressivement dans les embranchements de la liberté. Nous commencerons par définir l'environnement qui lui permet d'exister, ce cosmos moniste auto-organisé et métaphysique tel qu'envisagé par les postulats des sciences. Une fois passées ces bases utiles, nous envisagerons enfin la liberté telle qu'elle se présente à nous, par son effectivité factuelle, au travers d'une autre entité métaphysique qu'est la conscience, et enfin au regard de son antagoniste, la servitude. Nous y distinguerons l'absence de liberté mécanique de la nécessité de liberté mécanisée. Par constat des réactions cosmiques.
 

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Partons donc d'un cosmos, puisque telle est l'ambition des sciences : rassembler les causalités de cet univers par le savoir conscient et matérialisé. Partons du principe que tout ce qui est perceptible est soumis aux lois qui lui incombent, et que toute loi se manifeste par des effets perceptibles dans ce cosmos, et à ses propres singularités que nous sommes. Le déterminisme verse dans le fatalisme lorsque l'on considère que la métaphysique peut être dépassée, et ramenée au-dedans des confins du réel par l'explication. Il n'y a alors plus de liberté mécanique, puisque nous avançons selon quoi-que-ce-soit qui nous anime, nécessairement par mécanisme.

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Un cosmos, donc. Moniste, par définition. Et dont le caractère étiquetable se jouerait de la traçabilité. Des manifestations réelles que nous percevons ne se distingue aucune double dimension, aucun univers multiple. Nous sommes dans une seule et même réalité effective dont nous sommes les témoins quotidiens. Ses manifestations sont réelles, et par leur caractère réactionnel, ne peuvent admettre une métaphysique autre que celle que nous verrons plus loin ; avant d'envisager l'envisageable, expliquons l’explicable. Tout ce qui compose le palpable par les sens ou l'esprit se rassemble sous l'étiquette d'un univers dans lequel nous évoluons de causalité. Les plus petites entités de ce cosmos réagissent entre elles logiquement, et entrainent ainsi les échelles supérieures d'existence. Il n'y a pas espoir d'exister pour le chaos. Or à notre échelle comme à aucune autre, théoriquement, la liberté n'a pas de place en tant que logique tenant de la mécanique. Si tout est cause et effet dans notre condition, et sans parler des antinomies que cela a créé, on en revient à affirmer un fatalisme pur. Avant même la notion de conscience, la liberté n'existe pas, au même titre que la servitude. Il n'y a que le mécanisme courant le temps, une réaction dont les extrémités temporelles ne nous interessent pas. On ne peut pas être libre. Ce cosmos est causal. Quelle cause poursuit-il donc ?

 

Tout ce que l'on constate à la causalité est certes la poursuite d'une cause, mais qui se réalise par organisation. On, ce 'on' défini comme humain quelconque, peut ne pas être libre une fois reconsidéré comme élément du cosmos, car il est donc soumis à ses lois propres. À la fois en tant que matière, qu'individu singulier, qu'entité humaine. La plus petite entité connue interagit de sorte à ce que les entités d'échelle supérieure subissent son mécanisme comme un moteur entraine une courroie. C'est de ce principe que nait le déterminisme fataliste qui enjoint à considérer l'auto-organisation du cosmos comme maitre-mot de la causalité du réel. De plus, il convient d'intégrer que la forme d'interaction caractéristique de l'humain se fait par le biais de l'information, intégrant à notre système cette donnée réelle constitutive de l'ordre du cosmos. Nous réfléchissons la réalité, par principe, comme un phénomène propre qui serait la matérialisation de l'information par la matière elle-même. C'est là où nous ne sommes pas libres : ce cosmos s'organise dans sa propre réalité, et nous en faisons partie. Nous participons de l'explication du réel.

 

Mais rien ne s'explique immédiatement. Il faut du temps à la matérialisation d'une information. Revenons donc à présent sur le terme métaphysique. Celui-ci s'inscrit inévitablement dans sa propre démarche, et ne peut donc se rationaliser concrètement : en effet, lorsque certains parlent de ce sur quoi on ne peut que spéculer, d'autres disent qu'il s'agit des conflits de la raison avec elle-même. Cela reviendrait à considérer comme métaphysique ce que l'entendement ne peut que constater dans son rapport au réel, mais avec la croyance qu'il ne lui existe aucune explication rationnelle répondant à la logique humaine. En prenant en compte le caractère matériel de l'information, les lois de la causalité nous enjoignent à remarquer, d'une que l'information est capitale dans l'action libre humaine, mais que de deux elle est partielle en dépit de son accroissement perpétuel. Nous avons donc un cosmos qui se cherche lui-même de mécanisme, alors qu'il ne se sait pas : le réel se sait à travers ses individus humains, mais dans des proportions limitées et déterminées. Ce qui ne remet nullement en question ses interactions avec des origines et un environnement extracosmique qui lui appartiendraient, mais dont on remarque que l'impalpable cherche à être palpé par le réel, la résonance de l'action des manifestations de l'univers. La métaphysique devient amétaphysique lorsqe l'on s'englobe dans la conception selon laquelle tout système d'interaction possède un taux de prédictibilité relatif à son observateur. Si tout est causal, alors ce qui ne s'explique pas est simplement trop complexe à comprendre. La métaphysique ne peut donc être que physique, elle tient juste de ressors trop ambitieux pour l'entendement humain actuel. Appellons donc métaphysique toute manifestation qui va au-delà de la compréhension du physique. L'inconnu est donc la quête de ce cosmos qui s'auto-réalise, et nous sommes les organes nécéssaires au corps poursuivant cette quête. Le chamboulement qu'impose la science à nos déterminismes consiste en cette désillusion vis-à-vis de la liberté mécanique, qui s'étendant à toute l'existence, n'existe pas plus que la liberté métaphysique, activité d'étiquetage de l'incompris.
 

En définitive, toute notion se rapportant à l'idée de liberté mécanique amétaphysique reviendrait à un postulat caduque au savoir. Une fois considéré un cosmos qui se révèle à lui-même par organisation, on en revient en effet à affirmer que nul déterminisme ne survit à l'explication. Que celle-ci soit ignorée, envisagée, théorisée, prouvée, obsolète, oubliée, elle existe nécessairement. De là s'impose à nous par présence au réel, une liberté de mécanismes totalement nulle, puisque tout ce qui relève de leur gestion relève de leur ressort également. Qu'en est-il alors de la finalité de la liberté, prouvée par son effectivité qui nous enserre aujourd'hui ? Pourquoi l'avons-nous ressentie ? Où cela nous mène-t-il ? Encore une fois, observons les faits environnant.

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Par-delà des effets avérés de la liberté ; par-delà de la présence au réel qu'elle présuppose ; par-delà de son opposé, la servitude – existe une zone de confort de l'esprit libre. Ce pouvoir devenu conscience de lui-même, la liberté mécanisée, est une résonance du cosmos dans les pores de ses singularités qui le reflètent, le révèlent, le régénèrent.


 

Les sciences ont succédées à la notion de liberté. Si elles tendent à l'obsolétiser, c'est plus par impertinence que par présence au réel. Car la liberté est tout d'abord un sentiment humain qui se véhicule matériellement et dans le temps. D'un côté, le discours rapporté lui donne une origine autant qu'un corps, une existence propre qui résonne aux esprits de ceux qu'il charme fatalement. De ce côté rien à envisager d'explication, si ce n'est le constat de son effectivité : on parle de liberté. Dans la discussion spontanée, la liberté existe et se voit discutée. Au centre, la réalité du sentiment propre. On utilise à nos propres fins l'idée de liberté afin de construire notre pouvoir de réalisation. Celui-ci, inconnu par principe temporel, nous fait éprouver l’invraisemblable, le sentiment d'agir ce qu'on ne maîtrise pas. En ce centre, c'est une recherche d'ordre universel qui tend à nous faire éprouver la liberté, l'inscrivant dans un processus de satisfaction de lui-même par auto-gestion. Et de l'autre côté, l'expérience indubitable des choix que nous avons à effectuer lors de notre existence. C'est là qu'intervient la prédictibilité des phénomènes, qui joue à la fois sur le caractère invraisemblable de notre action non maitrisée et sur nos inclinaisons à la décision, notre pouvoir de choix dans le chaos de nos déterminismes. Ici nous sommes nous-mêmes objets métaphysiques, et donc intraçables, ce qui réhabilite la notion de liberté indéterminée, la plaçant dans le champ cosmologique de la présence au réel.

 

La présence au réel est une caractéristique régulatrice de l'ordre dans l'espace et le temps. Elle peut s'appliquer à l'échelle d'un être, d'un individu, d'une communauté, mais aussi d'un objet ou d'une idée, en somme de toute forme d'organisation de la matière. C'est sa manière d'être au réel, donc d'être à lui-même. Ce que tendrait à rapprocher l'étiquette conscience, pour questionner notre liberté individuelle autant que collective. Ce rapport au monde par une présence à la réalité, que nous semblons éprouver en nous. La réalité s'expliquant à elle-même, la liberté n'a de fin qu'elle-même dans sa réalisation, et qu'elle fut contingente ou effective ne résoud pas encore le problème de savoir si elle sera sauvée ou non dans le flot des déterminismes absolus. Nous avons su la liberté ; nous l'avons pu ; nous la devons aujourd'hui. La liberté de chacun se voit pensée en tant que pouvoir d'ordonner le réel, soumis actuellement et depuis peu à un devoir, une nécessité mécanique. De là nait la liberté mécanisée, animation d'un concept obsolète de la liberté auquel on admet la logique cosmique.

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A l'encontre de laquelle contreviendrait la servitude. Mais dans la logique mécanique, envers quoi serions nous esclaves, si ce n'est nous-même ou notre environnement ? Et si c'était le cosmos, en quoi se manifesterait la logique nous ayant menés à inventer la liberté et à l'utiliser ? Actuellement, c'est ici qu'apparait la notion réelle de servitude, car elle est le point antagoniste à la liberté, non pas en tant qu'état commutatif, mais en tant que valeur indicible. Mais puisque je suis effectivement déterminé par moi et par mon environnement, par ce cosmos, en quoi subsistent les notions de liberté et de servitude, d'un point de vue utilitariste ? En cela la réponse métaphysique est la réalisation du cosmos à lui-même, dans l'effectivité de ses contradictions singulières auxquelles il n'échappe pas encore, du moins à travers nous, singularités de ce cosmos. Et c'est là que nous retrouvons la liberté métaphysique telle que nous l'avons quittée avant réhabilitation, pour la formuler ainsi : un pouvoir d'action qui se permet de contrevenir au plan cosmique, par dépassement de ses propres prérogatives conscientes, lesquelles peuvent alors être de nature contradictoires. C'est donc tout en servant le cosmos que les singularités révèlent une déperdition de l'organisation, un phénomène aléatoire tenant de la métaphysique comme définie, un plan cosmique dans lequel la liberté que l'on éprouve n'a d'autre finalité que l'utilisation du réel à lui-même, et qui nous fait éprouver le bien et le mal selon notre propre conception dont les mécanismes se rejoignent de contradictions. La servitude absolue ? Elle existe, c'est celle de la liberté mécanisée sur celle de la liberté mécanique. Nous devons nous plier à notre liberté, maintenant que nous pouvons le faire, après avoir su comment faire.

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Par le discours rapporté sur la liberté, puis par la réalité pratique du terme, puis par la fatalité de l'apparition des choix ; suivant la présence au réel que chacun pratique en son coin ; à l'opposé d'une servitude miroir dont le malaise naitrait de rapports de forces entre singularités – existe une zone de confort de l'esprit libre. La liberté mécanisée est la gestion de la matière humaine par elle-même. La communauté apporte un aspect nouveau à l'ambition de la matière, terrain de notre liberté. On peut mais ne doit pas viser les extrêmes de la liberté autrement qu'en vision didactique, si l'on souhaite se réaliser à travers ce cosmos. Car existe une zone de confort à la liberté.
 

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Pour conclure, en partant d'un cosmos moniste amétaphysique et causal, nous en arrivons à un concept de liberté mécanisée en tant que moyen singulier d'interaction avec le réel.

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À l'usage d'une information matérielle, toute causalité absoluement connue ou inconnue reste dans le champ de l'entendement hypothétique. Un individu qui se convainc que tout est rationnalisable peut tout expliquer, car il pose une étiquette préalable sur ce tout qu'il compte conquérir. C'est ce que répète l'essor des sciences. Ainsi la liberté mécanique de notre fonctionnement cosmique ne nous laisse qu'un sentiment de fatalisme : toute indécision ne serait que prédictibilité incertaine de son théoricien. De l'immensité du savoir potentiel par rapport au savoir effectif nait le sentiment de liberté avant la causalité, et après elle, nait l'obligation de se déterminer.

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Au regard d'une conscience présente au réel par devoir, pouvoir ou savoir, la volonté cosmique n'enlève rien au discours sur la liberté, à son sentiment perçu, aux choix qui nous incombent. De plus, la servitude renait également de ses cendres, dans les mêmes conditions de mécanique contraire de la volonté au plan cosmique. La liberté mécanisée est relative, singulière, normative. Bref, elle est du ressors de la mécanique mais nous donne l'aperçu de notre pouvoir d'exister.

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Rejoignant le but de toute science, la vision utilitariste motivée et motivant ses présupposés admet à la liberté le bénéfice d'un dévoilement. Comme l'avait formulé Claudel dans Beauty and Grace, celle ci "s'offre [alors] dans une évidence ineffable, et dans la sécurité au sein de la vocalise intransgressible d'une liberation par le délice". À quoi serons-nous contraints si la science gagne et que la liberté disparait ? À nous libérer de l'innocence de la métaphysique ? Afin de découvrir un rapport au réel plus pertinent et ambitieux ? La vision utilitariste ne réfléchit pas, elle plante des graines ; elle ne pense pas, elle savoure les fruits ; elle ne s'exprime pas, elle résonne. Et en utilisant ses déterminismes, elle trace un chemin dans le temps, phénomène actuel de son pouvoir, dont seules les sciences semblent avoir les explications...

Peut-on ne pas être libre ?

Travaux préliminaires, versions I et II (PRIVE) - Annexes graphiques : liberté mécanisée, présence au réel, servitude - Annexes orbitales : axes de lectures 1 ; 2 ; 3 ; annotés - 

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